« Arrondir les angles » est une série de deux peintures collages réalisées à l’acrylique et avec des
scotchs washi où sont représentées des maisons en forme de carrond. Le carrond est la forme fétiche
de la plasticienne, fusion d’un carré et d’un rond. L’une des maisons est bleue, sur pilotis et fermée.
L’autre est rose, posée au sol et ouverte. Leur toiture est arrondie. Sans aucun élément humain ou
végétal permettant d’en indiquer l’échelle, la dimension des maisons demeure inconnue. De la même
manière, aucun indice n’est laissé sur les matériaux utilisés pour leur construction.
La série s’inspire des unités d’habitation de Le Corbusier et des architectures avec un dôme. Les dômes
remontent à la préhistoire et sont universels. Depuis, ils ont été construits avec de la boue, de la neige,
de la pierre, du bois, de la brique, du béton, du métal, du verre et du plastique. Ils peuvent reposer sur
une rotonde ou un tambour et être soutenus par des colonnes ou des piliers. Très populaires à la fin
des années 60 début 70, les dômes incarnent pour les hippies une architecture qui fusionne un sens de
soi avec un sens du cosmos. Pour eux, là où les coins et les bâtiments carrés restreignent l’esprit, les
dômes les agrandissent. Ils deviennent ainsi les lieux privilégiés de rassemblement dans les
communautés alternatives où ils sont destinés à favoriser une nouvelle manière de vivre non
hiérarchique. Le titre de la série renvoie à l’expression française « arrondir les angles » qui signifie que
l’on tente de tempérer une opposition violente entre deux personnes.
L’artiste évoque en effet avec cette série deux phénomènes. Le premier est d’ordre social.
La maison bleue reflète le désir de fermeture des frontières, d’une partie de la population des pays du
Nord dont la couleur souligne la froideur. Les pilotis illustrent cette volonté de vouloir se rendre
inaccessible, accentué par l'absence d'échelle condamnant tout accès à celle-ci. L’océan que la maison
surplombe est d’ailleurs vide, aucune présence humaine n’y est visible et aucune bouée de sauvetage
ne flotte à la surface de l’eau. Ce qui se passe à l’intérieur de la maison reste par contre un mystère, la
porte étant fermée et opaque. Aucun indice n'est donné quant aux modes de vie et nul ne sait combien
de personnes sont à l'intérieur de la maison. L'artiste fait une référence claire à l'expérience du chat de
Schrödinger, se demandant s'ils sont morts ou vivants ou les deux à la fois. Ce dernier état étant pour
elle la définition même d'une vie sans interaction sociale.
La maison rose, dont les portes sont ouvertes, symbolise à contrario les pays du Sud et leur chaleur
liée notamment au réchauffement climatique, qui entraînera sûrement de futures migrations. La maison
rose est d’ailleurs vide de toute présence humaine constatée. Le rose est ici utilisé par la plasticienne
tout d’abord pour refléter la chaleur humaine de ces habitants qui malgré la potentielle pauvreté d’une
partie d’entre eux, reflétée par l’absence totale de biens, objets ou mobiliers à l’intérieur de la maison,
laisse leur porte ouverte. Par ailleurs, l’artiste utilise aussi cette couleur pour rappeler que la terre a été
l’un des premiers matériaux de construction, notamment en Mésopotamie. Elle est aujourd’hui encore
utilisée étant tout particulièrement affectionnée par le grand architecte africain Francis Keré.
Le deuxième phénomène décrit par la série porte sur l’impact environnementale de l’architecture
actuelle. La tension portée par la civilisation moderne sur les écosystèmes naturels y est souvent brutale
entraînant une baisse significative de la biodiversité, qui brille de son absence autour des deux
constructions.
Maud Louvrier Clerc entend avec « Arrondir les angles » distillée l’idée d’une réintroduction du dôme
dans l’architecture dans le double espoir d’accentuer le sentiment de se sentir relié et intégré à un seul
écosystème, la Terre.