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Jardin d’éternité, 2021.icon

Expositions collectives - Galerie Eko Sato, Paris.

DU 19 JUIN AU 3 JUILLET 2021, La Galerie Eko Sato a le plaisir d’inviter Valérie Toubas et Daniel Guionnet, fondateurs de la revue Point Contemporain pour une Carte Blanche.

Ils présentant l’exposition LE JARDIN D’ÉTERNITÉ avec :

Jonathan Bréchignac
Sophie Deltombe
Clémentine Dupré 
Léo Fourdrinier
Lucie Linder
Maud Louvrier Clerc
Rachel Marks 
Héloïse Rival 

En 2016, Calico (1), la filiale santé de Google, annonçait un investissement de 1,5 milliard de dollars afin de « tuer la mort ». Accéder à l’immortalité, freiner, voire arrêter le vieillissement, est devenu une obsession. La recherche ne porte plus désormais sur une éventuelle source de jouvence, eau miraculeuse et naturelle, mais sur la biotechnologie capable de générer une molécule conférant à l’homme l’immortalité. La Silicon Valley n’est pas la seule à chercher la formule secrète de la jeunesse éternelle dans ses laboratoires, en France, et même au Japon, le pays de la longévité, se sont engagées des quêtes effrénées pour cette recherche ultime de l’or temporel. Le futur de l’Homme s’imagine hors de toute temporalité dans l’abrogation de cette loi naturelle qui le condamnait à sa disparition. Et aux dires des scientifiques, l’homme immortel existerait déjà dans le présent... 

Une quête qui prend des chemins multiples et se conçoit d’un point de vue technologique par l’avancée des sciences numériques qui permettent désormais d’enregistrer toutes les données d’un individu, son ADN mais aussi sa vie tout entière, l’ère post-digitale facilitant le traçage des moindres détails de ses faits et gestes, de ses goûts et même de ses désirs. Enregistrements des parcours, des conversations, des instants de vie, chacun d’entre nous possède déjà parfois sans le savoir de multiples mises en mémoire. Une photographie sur téléphone portable contient des données qui vont au-delà de l’image : géolocalisation, identification, mise en relation, détermination des centres intérêts... Il suffirait de faire tomber encore quelques barrières éthiques pour finaliser ce « portrait numérique » apte à être dupliqué numériquement, sur un porteur neutre, voire à être cloné. La question éthique pourra-t-elle encore longtemps résister à cet enjeu qui anime l’humanité depuis le Commencement ? 

Un des premiers manuscrits écrit en Akkadien, ne raconte-t-il pas déjà l’équipée de Gilgamesh en quête de l’immortalité ? Les épopées antiques ne font-elles pas le récit de glorieux combattants prêts à tout pour entrer dans la mémoire des vivants ? Désormais, nul besoin d’être Ulysse pour faire résonner ses pas dans le grand Panthéon... Par la conquête de l’immortalité, chacun pourra faire partie de l’Histoire, de son déroulement jusqu’à sa fin, au point d’atteindre le point de catastrophe et l’éternel recommencement. Mais est-ce vraiment être immortel que d’être dupliqué à l’infini, d’être sans cesse régénéré ? De quelle immortalité parle-t-on si l’on est soumis à subir une longue et périlleuse mutation génétique, si l’on doit s’éloigner de la nature humaine et se doter de câblages, de processeurs pour atteindre l’état de cyborg ? Que reste-t-il de l’humain dans le transhumanisme ?
 
« Rejetez donc vos chimères, et cherchez la vérité en vous laissant guider par la nature » (2) clame Schopenhauer qui, par immortalité évoque le devenir d’une espèce et non celui des individus qui la composent. L’immortalité doit se concevoir comme une force et une pensée commune, comme l’unité des destinées. Elle est l’ensemble de ces gestes, de ces actes, de ces réflexions qui, participant au cycle naturel de la vie, contribue à la prolonger. Les représentations du jardin sont une invitation à entrer dans ce havre de paix, où l’esprit, libéré de la vie matérielle, peut s’accomplir en s’ajustant à une échelle temporelle qui lui a toujours échappé quand il s’inquiétait du tragique de sa destinée. La vie devient un éternel printemps, quand la nature exulte dans les floraisons, dans le frémissement des feuilles, les bruits du vivant qui éveillent les sens, et rendent réceptifs aux palpitations de la nature. 

Un rapport à l’environnement qui peut aussi se concevoir par l’habitation comme l’a étudié l’artiste conceptuel et poète Shusaku Arakawa dans son projet Reversible destiny où les espaces, par les couleurs, les matériaux et les textures, mettaient tous les sens en éveil et contribuaient à ralentir le vieillissement. Cette longévité ne se retrouve-t-elle pas aussi dans l’expression du mouvement, de la vie et de ses cycles ? Ne suffirait-il pas de la tromper, de l’enfermer dans des boucles comme à la renaissance, dans des séquençages, des roues sans fin ? Certains diront qu’il faut sonder les nébuleuses où se concentrent les énergies électromagnétiques qui alimentent toute vie. Dans ce jeu de cache-cache ne faudrait-il pas au contraire se couler dans le continuum du temps, adopter son rythme pour le sentir irriguer nos veines, remplir nos poumons, étinceler en myriades synaptiques ? Mais peut-être suffirait-il que chacun soit « convaincu de son immortalité », comme le disait Freud (3) pour y accéder ? 

Laissez donc à l’entrée de ce jardin d’éternité, vos pensées d’absolu, votre croyance en la maîtrise du temps. Rien de tout cela n’existe ici. Le fantasme de la vie éternelle se représente sous la forme de symboles, qui, comme le cyprès ou la grue dans la culture japonaise, traduisent la longévité. L’immortalité peut se consommer aussi à travers le gingembre bleu ou encore certains champignons. Les paysages du mont Yoshino souvent représentés couverts de cerisiers en fleur sont appréciés comme un lieu de retraite où le temps n’a pas de prise et où s’y expriment plus intensément qu’ailleurs les arts. Car sans doute est-ce là une des clefs de l’immortalité : elle se trouve dans la langue des poètes et des artistes, dans la créativité de l’esprit, lorsque l’existence elle-même se fond dans l’immanence de la nature, à travers sa contemplation et sa célébration, dans l’expression de sa beauté, de sa complexité et de ses mystères... 

1 - https://www.generation-nt.com/calico-1-5-milliard-dollars-investissementspour-acceder-immortalite-actualite-1906026.html 
2 - https://www.schopenhauer.fr/philosophie/immortalite.html 
3 - Considérations actuelles sur la guerre et la mort – Freud - Œuvres complètes de Freud - Psychanalyse, Sigmund Freud (trad. André Bourguignon, Jean Laplanche, Janine Altounian), éd. Presses universitaires de France, 198